Page 121 - Conflitti Militari e Popolazioni Civili - Tomo I
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La naissance de la notion de civil dans le monde grec
JEAN NICOLAS CORVISIER
Si l’on en croit la définition ordinaire du mot civil, le sujet qui va nous retenir quelques
instants n’aurait aucune raison d’être. Issu du latin, le terme civil sert en effet à définir tout ce
qui caractérise le citoyen (civis) et, par extension seulement, ce qui le différencie son statut
de l’état ecclésiastique et de l’état militaire. Or, dans le monde antique traditionnel, l’équiva-
lence soldat = citoyen est à la base même de l’organisation politique. Le citoyen est donc né-
cessairement un soldat et ne saurait donc être qualifié de civil. Et pourtant, la différenciation
s’est faite, d’autant qu’elle est dans l’ordre des choses. Pour le monde latin, on perçoit assez
bien le processus. Simple cité au départ, Rome avait une armée de citoyens, celle à laquelle
s’appliquait le système servien des classes d’âge. Il reste d’ailleurs en vigueur jusqu’à la fin
de la République, puisqu’il interfère avec l’organisation politique des comices. Mais, dans la
pratique, à partir du moment où la mobilisation générale n’est plus indispensable du fait de
la présence des alliés, ce qui est déjà le cas avant les guerres puniques, et à partir du moment
où l’organisation de la légion manipulaire s’est imposée, on a pris le parti de créer, quand
besoin était, une légion dans le cadre d’un engagement de longue durée. Ainsi est-on passé,
insensiblement, à une armée de métier, même prise en partie dans le corps des citoyens,
transformation qui donne la Légion Romaine d’époque impériale. Pour le monde grec au
contraire, la transformation a été beaucoup plus complexe et moins aboutie. Notre propos est
d’en mettre en évidence les modalités et le processus .
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qu’est-ce qu’un ciVil, qu’est-ce qu’un Militaire dans le MOnde grec
traditiOnnel ?
La notion de civil étant moderne, il n’y a bien évidemment aucun terme pour désigner le
civil en grec ancien. Il n’y en a d’ailleurs pas pour désigner le militaire. Celui s’en rapproche
le plus est celui de stratiôtès. Sémantiquement, c’est celui qui se trouve en strateia, c’est-
à-dire en campagne. Un autre vocable est celui de misthophoros, c’est-à-dire de soldat au
sens propre, de stripendié, de celui qui touche la solde. Celle-ci n’est pas une obligation de
départ : à la période archaïque, on ne sait rien à son sujet : le soldat citoyen fournissait son
équipement et partait avec le nombre de jours prescrits. Mais, lorsque la guerre cessa d’être
frontalière, l’obligation de la solde s’imposa. Il semble que les rameurs (mais c’étaient les
thètes, les plus pauvres, ceux qui n’étaient pas obligés de fournir un équipement) dès l’épo-
que de Thémistocle aient reçu 2 oboles par jour. Lors de l’expédition de Potidée, la solde est
rentrée dans les mœurs. identique au misthos athénien, elle est, de facto, l’indemnisation du
temps passé au service de la cité. Mais son versement s’applique à tous : un mercenaire reçoit
normalement même solde qu’un citoyen : une drachme par jour au départ s’il est fantassin,
1 Sur les tendances de la recherche actuelle et la bibliographie récente sur le monde grec, J.-N. Corvisier,
1985-2005, vingt ans de travaux sur la guerre grecque antique, Revue des Etudes Militaires Antiques, 2,
2005, p. 31-55 et 3, 2006.