Page 123 - Conflitti Militari e Popolazioni Civili - Tomo I
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          aCta
             Le « civil » ne serait-il pas alors « celui qui ne sait pas », celui qui, culturellement ou
          par le fait des circonstances, n’a jamais été confronté à la guerre, n’a même jamais pensé la
          guerre ? On ne peut pas l’exclure, si l’on s’avise de ce que le contenu même des batailles,
          le vécu de la guerre paraît avoir été soigneusement masqué durant la période classique. Que
          ce soit pour la victoire ou pour les souffrances consenties afin d’y parvenir, la Cité a gommé
          l’individu. Il convient cependant d’apporter quelque nuance : quelque forme qu’elle ait pu
          prendre, l’éphébie inculquait à tout futur citoyen une paideia militaire ; la fréquence des
          guerres, de l’ordre d’une année sur trois, était telle que le fait guerrier ne pouvait avoir été
          ignoré ; enfin, le poids démographique de la guerre sur la société était loin d’être nul. Une
          recherche systématique a montré d’ailleurs qu’il est resté à peu près identique entre le milieu
          du V ème  siècle et la fin de la période hellénistique .
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             Dans ces conditions, plus que la distinction civil/militaire, celle qui peut paraître perti-
          nente pour le monde grec traditionnel est la distinction amateur/professionnel. Eu égard à
          nos critères, le citoyen est un amateur susceptible alternativement d’être civil ou militaire. Le
          seul vrai militaire, le professionnel, ne peut être qu’un mercenaire, évidemment méprisé car
          il combat pour de l’argent et non pour sa Cité. Faut-il voir une exception dans la situation du
          soldat spartiate ? On ne saurait même en être assuré

          les PrOdrOMes de la transfOrMatiOn à la PériOde classique
             Si la situation qui vient d’être brièvement brossée conserve sa pleine valeur à l’époque
          classique, au moins comme modèle culturel, notamment par le biais de la Belle Mort, la
          réalité paraît s’en être quelque peu écartée, notamment par le déroulement de la Guerre du
          Péloponnèse. Non que le fait civil ait été perçu en tant que tel. Mais la technicité plus grande
          de la guerre a commencé à faire effet : la semi professionnalisation de la guerre a tendu à
          reléguer le soldat citoyen au rang d’une catégorie de « connaissant moins le combat », l’ar-
          chétype du civil.
             Certes, le «Grec moyen» n’avait aucune véritable conscience de cette transformation.
          Lorsque, dans ses discours refaits prêtés à Périclès, Thucydide oppose les amateurs athéniens
          aux professionnels spartiates pour ensuite montrer que les premiers, quoique non spécialis-
          tes, font jeu égal avec les seconds, il ne fait qu’exprimer une opinion commune à Athènes. Ce
          faisant, d’ailleurs, pour flatter ses concitoyens, il contribue à créer le mythe du « Spartiate-
          seul soldat professionnel en Grèce », dont les spécialistes actuellement voient de plus en plus
          le caractère décalé par rapport à la réalité. Car ce que nous avons longtemps tenu pour seules
          structures de l’armée sont en fait les structures politiques de l’état spartiate et on a souvent
          oublié que le Spartiate était aussi un citoyen. Seul la réduction numérique et ce que nous
          croyons savoir de leur paideia a pu amener un temps les Modernes à en faire de véritables
          professionnels .
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          6   J.-N. Corvisier, Guerre et Démographie dans le monde antique, CRUSUDMA, 2006, notamment p. 261-
              275.
          7   Sur les structures de l’armée, entre autres, F. Lazeznby, The Spartan Army, Warminster, 1985, très précis
              sur le sujet. Les tendances de l’historiographie spartiates pourront être trouvées notamment chez Ed. Lévy,
              Sparte, 2003, ou dans les multiples études de J. Ducat. Les textes concernant l’agôgê sont même remis en
              question par certains savants pour qui ce qu’on croit deviner chez Xénophon et ce que décrit Plutarque 5
              siècles plus tard n’a pas valeur pour tous les citoyens, mais seulement pour le Bataillon Sacré. Au surplus,
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