Page 69 - Conflitti Militari e Popolazioni Civili - Tomo I
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          CONFLITS MILITAIRES ET POPuLATIONS CIVILES

          PIERO DEL NEGRO   *



             Dans une page des Voyages de Gulliver Jonathan Swift associe et, en même temps,
          oppose deux images de la guerre qui sont inhérentes aux années vingt du XVIII siècle,
          c’est-à-dire l’époque dans laquelle l’oeuvre est située, aussi bien que dans une pers-
          pective de longue, voire de très longue haleine, tout en payant le nécessaire péage en
          termes de précisions et d’éléments chronologiques, tout comme je essayerai à faire dans
          cet exposé en marge au thème du XXXIV Congrès de la Commission Internationale
          d’Histoire Militaire. D’un côté, une liste aride d’armements et des phases de la guerre,
          une nomenclature aseptique de la technique militaire, si vous voulez la guerre ‘objec-
          tive’, ‘rationnelle’, la guerre voulue et menée par les princes, les généraux et les bureau-
          crates en uniforme en se basant sur les schémas figés de l’art de la guerre et des volumes
          des forces déployées ( tant de soldats, tant de chevaux, tant de navires, tant de pièces
          d’artillerie....), la guerre célébrée dans l’ histoire du pouvoir comme dans les inscriptions
          rupestres des rois achéménides de Perse, la guerre illustrée dans l’age moderne et au delà
          par les peintres de batailles au service des souverains et des commandants des armées
          et des flottes:  « canons, couleuvrines, mousquets, carabines, pistolets, boulets, poudre,
          sabre et baïonnettes, sièges de places, tranchées, attaques, sorties, mines, contre-mines,
          assauts, batailles navales » .
             De l’autre, en succession rapide, les ravages de la guerre, évoqués de manière inou-
          bliable dans des gravures remontant à la période de la Réforme Protestante, comme le
          Quatre Cavaliers de l’Apocalypse de  Albrecht Dürer, ou bien, respectivement un siècle
          et trois siècles plus tard, dans les  effrayants œuvres de Jacques Callot et de Francisco
          Goya, ou bien encore, dans une époque plus proche de nous, la guerre peinte par Pablo
          Picasso en Guernica ; la guerre vécue en première personne plus que par le peuple en uni-
          forme et surtout sans uniforme, la guerre décrite de façon « subjective » dans les romans
          les plus célèbres du XIX siècle par des personnages participant aux grandes batailles de
          manière subalterne ou marginale et,  en tout cas, sans  y comprendre grand-chose, com-
          me la bataille de Waterloo, racontée par Stendhal dans la Chartreuse de Parme du point
          de vue de Fabrice del Dongo, ou la bataille d’Austerlitz, évoquée par Tolstoj dans Guerre
          et Paix  à travers le témoignage de Pierre Bezuchov ou, encore, les guerres constituant le
          cadre des événements plus ou moins picaresques des marginales que l’on peut identifier
          dans les masques de Ruzante et de Simplicissimus, la guerre, en d’autres mots, vues d’en
          bas ou de l’extérieur: «des gémissements des blessés, des membres sautant en l’air; la
          fumée, les éclairs, le bruit, les combattants broyés par les chevaux, les fuites, les poursui-
          tes, les victoires ; les cadavres abandonnés aux chiens, aux loups, aux oiseaux de proie ;
          les pillages, les spoliations, les viols, les incendies, les destructions » .
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          *   Professeur d’Historie Militaire à l’Université de Padua, Membre du Bureau de la CIHM, Membre de la
              Commission Italienne d’Histoire Militaire
          1   Jonathan Swift, Viaggi di Gulliver in vari paesi lontani del mondo (Voyages de Gulliver Chez Plusieurs
              Nations Réculées du Monde), Milan, Rizzoli, 1975  [I ed.  1726], p. 439.
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